Le départ de la direction générale : que faire ?
Chronique rédigée par :
Me Jonathan Richer
Conseiller juridique
Me Edward Smith
Conseiller juridique
Me Daniel Cooper
Conseiller juridique principal
Votre direction générale quitte son poste. Que ce soit de façon subite ou de façon prudemment préparée, cette situation peut être vecteur d’anxiété, d’incertitudes ou pire, de confusion au sein d’un conseil d’administration et même au sein de l’entreprise collective, de ses employée.s ainsi que ses membres.
Dans cette chronique, nous nous attarderons au départ subit et non planifié d’une direction générale1 et nous offrirons des recommandations pour gérer la période intérimaire.
Les lois habilitantes des organisations à but non lucratif (« OBNL ») et des coopératives investissent le conseil d’administration de tous les pouvoirs pour administrer l’entreprise collective2 et lui accordent le pouvoir d’engager un.e directeur.rice général.e3. Ainsi, c’est au conseil d’administration de mettre en place les structures nécessaires pour assurer la gestion quotidienne de l’entreprise collective dans l’attente qu’un successeur intérimaire ou permanent soit nommé.
Généralement, nous recommandons la constitution de comités non décisionnels pour d’une part, assurer la gestion quotidienne de l’entreprise collective dans l’intérim et d’autre part, pourvoir à la nomination d’une nouvelle direction générale intérimaire ou permanente.
1. Les comités non décisionnels
Des comités peuvent être créés par l’entreprise collective pour s’assurer de son bon fonctionnement, en attendant la nomination d’une direction générale intérimaire ou permanente. Toutefois, contrairement au comité exécutif, ces comités ne peuvent pas être investis de pouvoirs décisionnels4.
D’ailleurs, même si rien ne l’empêche, une première recommandation est de ne pas confier au comité exécutif, s’il existe, un mandat spécifique et précis de gestion intérimaire ou de dotation d’une direction générale, mais de confier ces tâches non décisionnelles à un comité spécifique qui se concentrera uniquement sur la tâche à accomplir5. Rien n’empêchera un de ces comités non décisionnels de saisir le comité exécutif au besoin, par exemple, entre deux réunions du conseil d’administration, dans le respect de la délégation de pouvoirs faite par le conseil d’administration à ce comité exécutif.
Minimalement, nous recommandons la mise sur pied de deux comités :
1. Un comité de gestion (aussi connu sous le nom de comité de direction). Ce comité s’assurera de transmettre à l’équipe de gestion de l’entreprise collective les mandats et orientations du conseil d’administration, de mesurer l’atteinte des objectifs de façon continue, de s’assurer que les employés de la direction générale exécutent les tâches qui les incombent et de faire rapport régulièrement au conseil d’administration et, au besoin, au comité exécutif de la bonne marche de l’entreprise collective.
Nous recommandons le maintien de ce comité dans le cas où une direction générale intérimaire est nommée;
2. Un comité de dotation de la direction générale (aussi connu sous le nom de comité de ressources humaines ou comité de sélection). Ce comité, qui assurera la liaison avec le conseil d’administration, gérera le processus de dotation, soit à l’interne du conseil d’administration ou encore en mandatant une ressource externe.
Généralement, il aura pour tâches de préciser le profil du ou de la candidate recherchée et soumettre le fruit de sa réflexion au conseil d’administration pour discussion et approbation, déterminer le processus d’appel à candidatures et le faire approuver par le conseil d’administration, procéder à un tri de candidatures selon le profil recherché par le conseil d’administration, soumettre les candidatures retenues au conseil d’administration. Aussi, au besoin et selon la décision du conseil d’administration, procéder aux entrevues d’emploi et analyser les grilles de résultats des entrevues d’emploi et les soumettre au conseil d’administration.
Il pourra également, selon les décisions du conseil d’administration, négocier les conditions d’emploi des candidat.e.s retenu.e.s, mandater des professionnels.elles pour rédiger le contrat d’embauche et soumettre le produit final au conseil d’administration pour discussion et approbation.
Le conseil d’administration peut également décider de confier toutes ces tâches à une ressource externe et le comité de dotation verra alors à faire la coordination des travaux et la liaison avec le conseil d’administration, pour s’assurer du respect de sa juridiction exclusive.
D’autres comités peuvent être envisagés, comme un comité des communications ou un comité de gestion du changement.
2. L’intérim
Dans l’attente de la nomination d’une nouvelle direction générale, le comité de gestion ou de direction assurera la gestion de l’entreprise collective par le conseil d’administration selon ses pouvoirs exclusifs. Nous recommandons que ce comité demeure en fonction même si une direction intérimaire est nommée.
Pour ce qui est du comité de dotation (ressources humaines ou sélection), celui-ci doit agir en toute confidentialité et en l’absence de tout conflit d’intérêts, compte tenu de l’importance de ce pouvoir d’embauche qui appartient au conseil d’administration. Il en va de même pour les membres du comité de gestion (ou de direction). Les membres de ces comités doivent faire preuve de beaucoup de prudence et de doigté, surtout dans le cas où une candidature provient de l’interne ou même d’un membre ou d’un partenaire.
Nous recommandons fortement que les membres de ces deux comités signent un engagement de confidentialité et une déclaration d’intérêts, en plus de leur serment habituel de respecter leurs obligations légales et morales envers l’entreprise collective6
3. L’embauche
Puisque tout changement organisationnel crée du remous, le processus d’embauche d’une nouvelle direction générale permanente doit faire l’objet d’un suivi attentif par le conseil d’administration. Outre les communications d’office qui doivent suivre le départ d’une direction générale (notamment pour rassurer les employé.e.s, les membres et les partenaires), le conseil d’administration doit voir à mettre en place une stratégie de communication relativement à l’embauche et l’arrivée d’une nouvelle direction générale et au besoin, une stratégie de gestion du changement.
Nous recommandons que le comité de gestion (ou direction) soit chargé de façon non décisionnelle et pour une durée déterminée (par exemple, la durée de probation de l’employé.e retenu.e.) d’assurer un minimum de liaison avec l’équipe de gestion de l’entreprise collective et, au besoin, faire un rapport au conseil d’administration.
Toutefois, ce comité de gestion doit absolument se garder d’intervenir dans le champ d’action de la nouvelle direction générale sans mandat spécifique et justifié. Il ne doit non plus miner l’obligation de cette nouvelle direction générale de faire un rapport au conseil d’administration des opérations de l’entreprise collective et recevoir du conseil ses mandats.
Le conseil d’administration doit s’acquitter de sa tâche d’évaluer la nouvelle direction générale selon l’atteinte des objectifs qu’il lui a donnée. Cette tâche est primordiale pendant toute la durée de l’emploi, mais encore plus pendant la période probatoire, s’il en est. Le comité de dotation (ou ressources humaines, ou sélection) peut être chargé de coordonner ces étapes, mais la décision finale revient au conseil d’administration. Ce comité peut ainsi devenir un comité permanent en appui au conseil d’administration.
À retenir :
- C’est le conseil d’administration qui détient tous les pouvoirs pour administrer les affaires de l’entreprise collective et, sauf règlement à l’effet contraire7, engager la direction générale.
- Il est recommandé de créer des comités non décisionnels du conseil d’administration pour garder un œil sur la gestion courante de l’entreprise collective, et s’occuper du processus d’embauche, par le conseil d’administration, de la prochaine direction générale intérimaire et ultérieurement, permanente.
- Le conseil d’administration doit de façon continue et permanente évaluer sa direction générale selon l’atteinte par elle des objectifs qui lui sont communiqués et plus particulièrement pendant la période de probation, s’il en est.
Nous vous invitons à consulter un.e conseiller.ère juridique du Réseau pour toute question en lien avec cette chronique.
1 Nous n’aborderons pas les enjeux liés au contrat de travail comme les engagements relatifs au préavis de départ ou les engagements d’assurer une transition avant le départ définitif, pendant le préavis.
2Loi sur les compagnies, RLRQ c. C-38, articles 31 et 91 (1), et Loi sur les coopératives, RLRQ c. C -67.2, article 89.
3Loi sur les compagnies, Op. Cit., note 2, article 91 (2) d) (voir aussi l’article 115 où il est fait spécifiquement mention du « gérant »), et Loi sur les coopératives, Op. Cit., note 2, article 90 (1). Notons que ce pouvoir d’engager la direction générale peut être encadré ou même confié ailleurs, selon ces deux mêmes dispositions. Il est important de consulter un professionnel pour s’assurer que ce pouvoir est effectivement du ressort du conseil d’administration.
4 Paul Martel, La corporation sans but lucratif au Québec : Aspects théoriques et pratiques, Wilson & Lafleur, 2022, p. 12-8 et Loi sur les coopératives, Op. Cit., note 2, articles 107 et 108.1. Pour les coopératives, ces comités autres que le comité exécutif peuvent être décisionnels si les produits de l’exercice précédent de la coopérative sont d’au moins 10 000 000 $ et qu’un règlement l’y autorise.
5 Dans le cas du comité de gestion, que la gestion quotidienne soit maintenue et pour le comité de dotation, qu’un processus de dotation soit entamé.
6 Habituellement, il s’agit du Code de conduite et d’éthique des administrateurs et dirigeants. Il y a aussi les dispositions générales des articles 321 et suivants et 2138, du Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991 et de l’article 106 de la Loi sur les coopératives, op. cit., note 2.
7 Supra., note 3.